Aveyron : c'est l’œuf ou la truite avec la recette "coque au caviar des monts d’Aubrac"

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    C'est beau, et c'est bon. Antonin Pons Braley
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Alix Pons Bellegarde

La cheffe Alix Pons Bellegarde nous propose cette semaine de marier œufs de truite et de poule dans une recette joliment nommée "coque au caviar des monts d’Aubrac". Bon appétit !

Par six, dix ou douze. Dans leur barquette de carton gris, bleu, blanc, rose, jaune. À l’occasion reremplie au poulailler, à deux pas, chez Renée. Ou ramenée du marché – posée en sus sur le cabas, en tout dernier, pas tant par coquetterie que par fragilité.

Histoire d’œufs

"Œufs fermiers", parmi les indispensables. Remisés ensuite, à la maison, dans la réserve ; comme une épargne, un sentiment de sécurité ; de leur boite débarqués, protégés de la lumière dans un grand panier d’osier, un linge au-dessus, comme un voile, posé ; jusqu’au moment où : aïolis, mayonnaises, omelettes, flans, crèmes pâtissières, pâtes à tarte, crêpes, meringues, rarement un jour sans. Frits, battus, crus, départ à chaud, à froid, avec ou sans vinaigre, sel ou pas sel. Paysages infinis.

Ces œufs, pour le meilleur comme pour le pire, trésors de campagne, coins de jardin, fiertés d’éleveurs ; ou tout au contraire rançons de batteries, leurres, gloires de gondoles des temps modernes.

Aujourd’hui de la ferme d’à côté, il sera tout juste cuit, juste avant le mollet, trois minutes, un souffle de plus, à l’eau déjà frémissante, à peine posé à la cuillère en fond de casserole que déjà récupéré. Puis coupé dans la longueur, et non sur la pointe de sa hauteur : généreux, ample, disposé.

Alors dérouler l’histoire du jour, rustique, ordinaire, pour un réveil, un encas, un goûter, un bord de plat : œufs sur œuf, une banalité, toper notre "coque" d’un caviar de truite des Monts d’Aubrac. L’excellence à portée, petit voyage aveyronnais.

Privilégier la qualité à la quantité

Nicolas Mairiniac, "fermier marin", face au café du Bourg sur le marché du samedi à Rodez, nous avait prévenus : nous n’aurions que trois semaines à peine – "la saison" – pour en profiter. À date, il n’en reste que deux. Alors, lorsqu’il y a quelques jours, il appelait, comme pour un accouchement, c’était maintenant. Depuis le barrage de Sarrans, Argences-en-Aubrac, en bio, ses filets "donnaient". Il fallait faire vite, se débrouiller.

"Il y a seulement trois piscicultures en lac de ce type en France. Nourriture mesurée, croissance lente, longs déplacements de l’espèce dans des espaces immensément grands, chair musclée ; j’ai fait le choix de donner du temps au temps, de privilégier la qualité à la quantité", expliquait-il à Centre Presse il y a quelques mois lors de son installation. Un indépendant, un vrai. De ces courageux-là.

Le mariage des œufs

À la hâte donc, nous accourions le jour levé. À peine récupérés, je les avais déjà mariés, assaisonnés, marinés, par la pensée, sur le chemin retour pour la maison. Tout juste arrivée, je versais du sel pour la saumure, les trempais, les séchais, puis les fumais, avec du "sous-la-main", feuilles d’orties cueillies la veille, encore là, en bout de table. Pierre-de-lune, opale, le caviar très légèrement se repliait, s’opacifiait. Un voile blanc, une odeur tourbe. En bouche, l’effet parfait. Rondes, récalcitrantes jusqu’à exploser, fermes, les billes une à une sous la langue s’ouvraient.

Le surlendemain, nous y voilà, matin, les œufs de truite, ceux-là mêmes, sur œuf de ferme, celui-là même. "Simple, basique". Ça campagne, sa coule, ça appelle. C’est ici qui parle d’ici. Et c’est bon.

Humeur du dimanche, un filet de Twelve en cascade – l’Aventurine, single malt en Aubrac, élevée en fûts de cognac, pomme verte, fruits blancs, céréale – dégouline par les côtés. Déjeuner frugal-glouton, amarré-appareillé, sage-coquin.

Et au-delà de l’exercice, espiègle peut-être, le plaisir, la satisfaction même, de marier le territoire tout entier en une si petite bouchée.

Cheffe et chercheuse

Aux racines indiennes et catalanes, Aveyronnaise d’adoption, Alix Pons Bellegarde est cheffe-chercheuse. Avec l’anthropologue Antonin Pons Braley et leurs enfants, elle parcourt le monde pour archiver les cultures culinaires des régions insulaires et nordiques. Le couple fonde en 2021 sa marque "Famille Pons Bellegarde" et la revue "Salt Letters" dédiée à l’univers du sel. Alix Pons Bellegarde livre chaque semaine aux lecteurs de Centre Presse un journal de bord aveyronnais de sa cuisine.Sur Instagram, deux adresses : alix_pons_bellegarde ou ponsbellegarde. Et très prochainement sur le site internet ponsbellegarde.com

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