Le Calendrier de l'Après : Eric Briones : "La digital fashion est l'une des réponses à la problématique écologique"

  • La digital fashion pourrait permettre aux plus jeunes générations de briller sur les réseaux sociaux à moindre coût sans avoir à se tourner vers la fast, voire l'ultra fast fashion.
    La digital fashion pourrait permettre aux plus jeunes générations de briller sur les réseaux sociaux à moindre coût sans avoir à se tourner vers la fast, voire l'ultra fast fashion. Fascinadora / Shutterstock
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ETX Daily Up

(ETX Daily Up) - La génération Z a-t-elle le pouvoir de rendre la mode plus durable ? Autrement dit, peut-elle pousser les marques à accélérer leur transition écologique ? Un vaste sujet alors que les Z, eux-mêmes, s'ils se déclarent engagés sur cette problématique, se tournent toujours vers la fast fashion, si ce n'est l'ultra fast fashion. Eric Briones, directeur de la rédaction du Journal du Luxe, et auteur de l'ouvrage "Le choc Z", décrypte le rapport qu'entretient cette génération avec la mode, voire le luxe, à l'heure de l'urgence climatique. Voici l'épisode 14 du Calendrier de l'Après, notre cahier de tendances 2022.

Les Z sont-ils toujours aussi influents dans l'industrie de la mode ?
Oui, c'est évident. La puissance Z n'est pas à démontrer. Le pouvoir d'achat Z est extrêmement désiré par le monde de la mode, mais aussi du luxe. Il y a même une montée en puissance de leur présence. En 2019, rien que sur le luxe, la génération Z pesait 8%... Deux ans plus tard, en 2021, on est déjà passé à 17%, et elle pèsera plus de 20% en 2025, avec un bloc 'millennials-Z' à plus de 70%. Il y a une prise de pouvoir de la jeunesse en général, à tel point que cela a donné naissance à un phénomène 'marketingo-sociologique', les Zennials. Ce sont des hybrides entre les millennials et les Z, qui sont nés entre 1992 et 1998, et qui débutent dans la vie active. Donc les Z, et plus largement la jeunesse, influencent effectivement plus que jamais la mode, et le luxe, et leur pouvoir s'est même renforcé au cours de l'année écoulée.

Peut-on parler de premiers achats luxe pour ces Zennials ?
Non, car les premiers achats dans le luxe ont été faits bien avant, que ce soit sous la forme d'un cadeau pour un anniversaire, ou pour l'obtention du baccalauréat, par exemple. Le premier achat luxe n'attend pas le premier emploi, il commence à l'adolescence. Et puis, il y a quelque chose que la Z a apporté dans la mode et dans le luxe, c'est la seconde main. L'accès au luxe se fait aussi par la seconde main. C'est une question d'accessibilité, bien sûr, mais c'est aussi du deal, une activité économique pour s'enrichir. Ils achètent du luxe, et des pièces rares, pour pouvoir les revendre. Il y a des Z qui sont à 100% dans une catégorie seconde main où l'argument n'est pas écologique mais économique. Au final, le luxe sert aussi à s'enrichir.

Est-ce que cela signifie que la durabilité ne compte pas pour les Z ?
Si, bien sûr que cela compte. On est entré dans ce que l'on appelle la métamodernité. Il s'agit d'un mix entre la modernité des années 1950, à savoir les Trente Glorieuses, qui correspond d'une certaine façon à la croyance presque naïve d'un bonheur différé, et la postmodernité des années 70 correspondant cette fois à un point de vue cynique où tout est déconstruit. Avec cette métamodernité, on oscille presque constamment entre cette croyance en un futur glorieux et cette remise en cause. Finalement, c'est le fameux 'en même temps' macronien. Et la Z est dans une oscillation par rapport à sa consommation mode. Cela se traduit par une éco-anxiété extrêmement forte, et en même temps, par une passion, non pas pour la fast fashion, mais pour l'ultra fast fashion, et donc un phénomène d'hyperconsommation. Il y a toutefois un élément nouveau, c'est la question de la digital fashion, à savoir des vêtements digitaux qui n'existent pas dans le réel. Ce qui est intéressant, c'est que les spécialistes de la digital fashion présentent ce nouveau phénomène, sur un prisme écologique, en tant que 'tueur' de la fast fashion. Les Z sont aujourd'hui friands de vêtements qui affichent une prétention écologique, en l'occurrence un signe extérieur d'écologie. Il y a bien chez cette génération une prétention écologique, et en même temps, une tension, un stress écologique.

Comment expliquer justement ce paradoxe qui est persistant chez les Z : ils veulent des marques engagées sur la question du développement durable, mais s'habillent chez les géants de la fast fashion ?
Comme l'éco-anxiété est une réalité, cette génération, quand on l'interroge sur la mode éco-responsable ou durable, se montre forcément engagée. Mais il y a également deux choses qui challengent cette éco-anxiété : le portefeuille et le désir de briller. C'est la métamodernité, et je n'ai pas l'impression que ce paradoxe soit mal vécu puisqu'il perdure effectivement. C'est là qu'entre en jeu la digital fashion, qui se présente comme le champion écologique qui va tuer la fast fashion, et qui répond justement à ces défis.

Est-ce que ce paradoxe ne pousse pas au greenwashing ?
Non, car la Z a aussi un œil pour détecter le greenwashing. Les marques se sont réveillées du jour au lendemain toutes écolos, donc il y a forcément un décalage. Les Z sont tout sauf naïfs donc ils sont bien conscients qu'il y a de la manipulation. C'est un sujet éminemment complexe. Il est facile de se prétendre écologique, mais en pratique c'est beaucoup plus compliqué. C'est une révolution industrielle. Quand on touche à l'écologie, on touche à toute la chaîne, de la façon de concevoir à la façon de vendre et de communiquer, et même au SAV. Aujourd'hui répondre à des critères écologiques précis entraîne forcément une hausse des prix. Et je ne suis pas persuadé que cette éco-anxiété amène un pouvoir d'achat 'supplémentaire' alloué à ce type de produits. Je me pose vraiment la question.

Cet engagement, bien que prétendu, se traduira-t-il dans cinq à dix ans par une génération qui ne se tournera que vers du local, éco-responsable, et durable ?
Je n'y crois pas. Est-ce que la Z est prête à payer plus cher un vêtement made in France ? Je me pose vraiment la question. Il y a le déclaratif et la réalité. Ce sont deux choses très différentes.

En quoi le métavers pourrait être une réponse à la problématique environnementale ?
Alors ce n'est pas le métavers, mais la digital fashion qui pourrait en être une, sachant que le problème du métavers va justement se poser d'un point de vue écologique. Si on se tourne vers un internet qui est vraiment augmenté, le grand sujet écologique des cinq années à venir sera probablement la pollution digitale. C'est pour cela qu'il faut bien distinguer métavers et digital fashion. Mais je crois effectivement que la digital fashion peut être une réponse à la problématique environnementale. A l'heure actuelle, les réseaux sociaux poussent à une surconsommation de mode, puisqu'il n'est pas forcément bien vu de s'afficher deux fois avec les mêmes vêtements. C'est d'ailleurs pour cela qu'il est important de différencier mode et luxe - on ne change pas de sac Louis Vuitton tous les jours, contrairement à des vêtements plus accessibles. On a limite l'impression que la fast fashion a été inventée pour les réseaux sociaux, qui poussent les jeunes à surconsommer et à changer en permanence de vêtements. Là où le problème se pose, c'est que cela semble être devenu pour eux un plaisir, voire une addiction. En cela, la digitale fashion est effectivement une réponse, ne serait-ce que parce que si on fait un bilan carbone entre une robe DressX (un studio qui conçoit des vêtements virtuels, ndlr) et une robe Shein, il n'y a pas photo. Donc oui, c'est une réponse, mais ce n'est pas non plus 'LA' réponse.

Le pouvoir d'influence des Z a permis d'imposer le gender fluid dans la mode. Comment expliquer qu'il ne parvienne pas à rendre la mode plus green ?
Le gender fluid est une question de création, de style, de personnalité de créateur, et d'ouverture de la marque à des valeurs progressistes, alors que la question de la durabilité est beaucoup plus complexe. Elle touche à la conception, la réalisation, la communication, la vente, l'après-vente, et même le réseau de distribution. Quand une marque s'attaque vraiment à cette problématique, elle doit tout changer. C'est beaucoup plus complexe d'un point de vue industriel. Et si c'est plus complexe, c'est plus cher.

Est-ce que cela sous-entend que certaines marques ne s'y mettront jamais, réellement ?
Tout est dans le 'réellement'. N'oublions pas que la prétention écologique, à savoir le fait de s'afficher avec un vêtement écologique, est quelque chose de très désirable. Donc ce qui est certain, c'est que toutes les marques vont se prétendre écologiques, même Shein le prétend d'ailleurs. Personne n'échappe au message green. Mais la difficulté est d'être à la fois pédagogique et désirable. C'est l'équilibre entre Eros et Thanatos. Eros, car on est dans la mode, dans le luxe, donc on doit être dans la beauté, le désirable poétique, et Thanatos car on est confronté à la fin du monde, et in fine à notre propre mort. On en revient à l'oscillation de la métamodernité, Eros nous ramenant au désir et à la prétention écologique, et Thanatos à l'éco-anxiété.

Finalement, est-ce que luxe et développement durable sont compatibles ?
Oui, totalement. Et l'on peut même dire que le luxe est intrinsèquement durable, et ce pour plusieurs raisons. On est dans un principe de rareté, de petite collection, de réparation, de transmission, de proximité, voire de localisme, et de protection des savoir-faire. Des notions qui nous ramènent forcément à la durabilité.

Le Calendrier de l'Après :
Après le choc covid en 2020, on attendait le monde d'Après, aligné, apaisé. Finalement c'est la vie digitale, hybride qui s'est imposée, avec des écrans devenus indispensables à toutes nos activités, de l'éducation au travail, de l'amour aux achats. Cette virtualisation accélérée nous rend nostalgiques d'un Avant, d'un monde et d'une nature désormais idéalisés. C'est ainsi que cohabitent dans nos prévisions 2022, Netflix et la mode, la fin du like, la voiture du futur, les bactéries, nos nouvelles alliées, le post-plouc, les NFT, le virage électrique de l'automobile, le métavers dans la mode et la beauté, les fiertés âgées, les cryptomonnaies, la ville des minutes, la mode vertueuse et notre glossaire des 22 mots qu'on se surprendra à utiliser en 2022... Retrouvez toutes les tendances dans le Calendrier de l'Après 2022... Bonne lecture

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