Sébastien Bras : « L’Aubrac m’a forgé un inconscient gustatif »

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  • Sébastien Bras : "On l’ignore mais l’Aubrac possède l’une des plus belles flores d’Europe. Et cet univers végétal qu’il nous offre est magnifique et on essaie de le valoriser à travers nos cueillettes sauvages".
    Sébastien Bras : "On l’ignore mais l’Aubrac possède l’une des plus belles flores d’Europe. Et cet univers végétal qu’il nous offre est magnifique et on essaie de le valoriser à travers nos cueillettes sauvages". Archives Mathieu Roualdès et José Antonio Torres
  • À quelques encablures de Laguiole, Michel Bras a créé son propre jardin. Il recèle de trésors dont Sébastien se sert tous les jours pour composer son menu. À quelques encablures de Laguiole, Michel Bras a créé son propre jardin. Il recèle de trésors dont Sébastien se sert tous les jours pour composer son menu.
    À quelques encablures de Laguiole, Michel Bras a créé son propre jardin. Il recèle de trésors dont Sébastien se sert tous les jours pour composer son menu. Archives Mathieu Roualdès et José Antonio Torres
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Propos recueillis par Mathieu Roualdés

Que n’a-t-on pas déjà écrit sur le lien si particulier entre la famille Bras et le territoire qui l’a vu naître, l’Aubrac ? Des premières années au cœur du village jusqu’au succès florissant du Suquet, auréolé de trois étoiles et salué par toutes les critiques, Michel et son fils Sébastien n’ont jamais cessé d’être les ambassadeurs d’un plateau qu’ils chérissent tant dans leurs assiettes que dans leur quotidien. Sébastien se livre sur cette histoire d’amour.

Cela fait des années que la famille Bras cultive son amour pour l’Aubrac et vous n’avez pas fait exception à la règle…

Je suis l’un des derniers enfants nés à Laguiole en 1971 avant que la maternité ne ferme. Pour moi, ça représente beaucoup. Puis, comme mon père et d’autres, ce territoire m’a vu grandir et m’épanouir professionnellement. Ces souvenirs d’enfance ont construit notre univers. Quand tu as été élevé au milieu des vaches, avec des tartines de peau de lait et autres, ça te forge un inconscient gustatif très fort. Et cela ressort tout le temps dans ma cuisine qui n’est autre que le partage de ces émotions et d’un territoire

La nouvelle scène gastronomique française met un point d’honneur à cet attachement au territoire des chefs et sur la cuisine de produits locaux, en circuit court. Les Bras sont donc dans le vrai depuis des années ?

J’ai l’habitude de dire aux jeunes de notre équipe qu’ils doivent apprendre de leur passage chez nous mais que dès qu’ils ouvriront leur propre restaurant, ils doivent parler de leurs souvenirs, leur territoire. Lorsqu’on a 20 ou 25 ans, on n’a pas conscience de cela. On a parfois envie de faire ce qui est en vogue, alors que chacun a sa propre histoire… Quand mon père a profité de la richesse végétale de l’Aubrac en cuisinant des plantes ou des fleurs, tout le monde le prenait pour un dingue à l’époque. Et pourtant, ça n’a pas fait pschitt comme a pu le faire la cuisine moléculaire ! Ce retour à l’ancrage territorial, tout le monde y est revenu. Et je trouve cela génial.

Vous évoquiez la cuisine moléculaire. En tant que jeune chef, n’avez-vous jamais eu la tentation de vous lancer dans une cuisine diamétralement opposée à celle qu’on connaît de votre père ?

Je me suis posé beaucoup de questions à l’époque de la cuisine moléculaire, au début des années 2000. Ce courant était tellement fort, les chefs du monde entier s’y engouffraient tête baissée. Donc, bien entendu, j’étais curieux de découvrir. Je suis même parti faire un stage chez Ferran Adrià à Barcelone - le père de la cuisine moléculaire, NDLR. J’avais trouvé cela fascinant, mais ça correspondait à leur histoire. Pas à la mienne. Et même si à cette époque, on considérait presque notre cuisine comme trop classique, je suis content de voir que quinze ans plus tard, tout le monde est revenu à un aspect plus naturel des choses.

Lorsqu’on parle de l’Aubrac en termes de gastronomie, on pense avant tout à sa viande et à l’aligot. Vous avez su trouver bien d’autres trésors dans ce territoire…

On l’ignore mais l’Aubrac possède l’une des plus belles flores d’Europe. Et cet univers végétal qu’il nous offre est magnifique et on essaie de le valoriser à travers nos cueillettes sauvages. Puis, mon père a réussi à créer un univers à lui seul en créant son jardin. Il fait pousser des végétaux des quatre coins du monde, quand cela fonctionne (rires). C’est extraordinaire quand tu es cuisinier et que tu peux composer ton menu avec la cueillette sauvage, du jardin de ton père et des courses au marché de Rodez.
Et pour l’anecdote, j’avais fait le pari de retirer l’aligot de la carte il y a quelques années et tout le monde a rapidement réclamé son retour… J’en avais même imaginé un à base de potimarron mais cela aurait été un peu trop flashy certainement (rires).

Grâce à sa table, la maison Bras a également attiré de nombreuses personnes étrangères sur l’Aubrac. N’est-ce pas aussi une grande fierté ?

C’est ce dont on est le plus fier. On a réussi à conserver le lien entre de fins gourmets locaux, nationaux et internationaux. J’ai souvenir d’avoir vu lors d’un même service une Japonaise qui avait passé sa matinée à se préparer dans son costume traditionnel et à côté, un ouvrier agricole que je connais bien. Ce grand écart dans notre clientèle, c’est ma plus belle fierté. Parce que dans les trois étoiles parisiens, tu as 70 % d’étrangers désormais

Outre l’Aubrac, on associe souvent la famille Bras au Japon également. Est-ce également une histoire d’amour avec le pays du soleil levant ?

Mon père a ouvert son premier restaurant en 2002 là-bas. On y a découvert une culture à 100 000 lieues de la nôtre. Il y a beaucoup de coutumes, d’usages, on a mis du temps à comprendre et on s’est adapté à cet univers. L’île d’Hokkaido sur laquelle nous avions le restaurant - il a fermé récemment et un autre doit ouvrir prochainement à Karuizawa, NDLR -, c’est l’Aubrac puissance dix ! C’est le bout du monde, pas loin de la Sibérie et c’est ce qui avait motivé les investisseurs à nous faire confiance. Ils nous avaient dit que si on avait réussi sur l’Aubrac, on pouvait réussir là-bas (rires).

N’avez-vous jamais eu l’idée de poursuivre votre aventure ailleurs que dans la maison familiale ?

Pas vraiment. J’ai toujours aimé être chez moi. J’aurais pu être tenté de partir après mes études au début des années 1990, mais l’histoire de la maison était trop forte : on venait d’ouvrir Le Suquet, c’était très dur les premières années. Mes parents avaient besoin d’un soutien et je voulais en être un. À l’époque, il fallait sauver la boutique et je n’aurais pas pu partir. Je m’étais de nouveau posé cette question en 1998. On était parti avec ma femme en Argentine. On avait ouvert un restaurant à Buenos Aires. Ce dernier avait connu un succès incroyable et à l’époque tout était tellement facile là-bas comparé à la France, on s’était posé la question d’y rester… Mais finalement, l’envie de revenir au pays m’avait rapidement rattrapé.

 

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