Face aux "injonctions" de genre, le difficile recrutement des hommes dans les crèches

  • Dans les crèches, où près de 9.000 postes sont à pourvoir, on ne compte pas plus de 3% de salariés masculins.
    Dans les crèches, où près de 9.000 postes sont à pourvoir, on ne compte pas plus de 3% de salariés masculins. FatCamera
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ETX Daily Up

(AFP) - En 35 ans de carrière au contact des bambins, Daniel Lefèvre, ancien directeur de crèche, n'a "jamais eu de collègue homme, à part quelques stagiaires": les hommes restent ultra minoritaires dans le secteur de la petite enfance, un déséquilibre typique des métiers du "prendre soin", peu considérés et mal payés.

"C'est dommage, car la mixité dans les équipes de travail, ça a toujours du bon, et puis un homme n'a pas la même approche éducative et relationnelle qu'une femme", estime l'ancien responsable aujourd'hui à la retraite.

Dans les crèches, où près de 9.000 postes sont à pourvoir, on ne compte pas plus de 3% de salariés masculins, selon un rapport de France Stratégie paru en 2014. Et cette proportion n'évolue pas, déplorent les spécialistes et acteurs du secteur interrogés par l'AFP.

Dans les mois à venir, le gouvernement doit lancer une campagne de communication pour susciter des vocations dans ce secteur, qui s'adressera aussi --mais pas seulement-- aux hommes, indique Elisabeth Laithier, présidente du comité chargé de plancher sur le manque d'attractivité des professions concernées.

"Il faut travailler sur l'image de ces métiers, et lutter contre ces clichés selon lesquels il faut une femme +gentillette+ pour changer les couches à la crèche, et qu'à l'inverse les foyers pour adolescents à problèmes ont besoin d'un homme à poigne!", souligne Mme Laithier.

Recruter d'avantage d'hommes aiderait à faire évoluer les mentalités sur le long terme en montrant très tôt aux tout-petits que s'occuper des enfants n'est pas l'apanage des femmes, observe Elsa Hervy, de la Fédération française des entreprises de crèches (FFEC). Un objectif d'ailleurs rappelé dans la "Charte pour l'accueil du jeune enfant", en vigueur depuis septembre 2021.

"Quand un homme prend un enfant dans ses bras, il peut être plus rassurant", analyse de son côté Jérôme Dumortier, 36 ans, directeur d'une crèche associative dans l'agglomération lilloise. Qui relève toutefois qu'un homme dans ce milieu "doit faire ses preuves" s'il veut asseoir sa "crédibilité".

- "Compétences naturelles"? -

Même les parents peuvent être décontenancés en découvrant qu'un éducateur va s'occuper de leur tout-petit. Certains "peuvent avoir au début une petite appréhension, ensuite vite dissipée", avance Mike Marchal, qui a travaillé en crèches pendant dix ans.

Pour les pères en particulier, voir un homme s'occuper de leur enfant peut les "conforter dans leur volonté de s'impliquer", les "soulager" s'ils regrettent de ne pas beaucoup s'occuper eux-mêmes de leur enfant, ou au contraire les conduire à "développer une forme de jalousie", développe M. Marchal, qui écrit justement une thèse de sociologie sur l'implication des pères de jeunes enfants.

En outre, il arrive que les parents soupçonnent le salarié en crèche de pédocriminalité, ajoute-t-il.

Pour la psychologue Françoise Vouillot, l'assignation genrée à occuper telle ou telle profession obéit à des "injonctions implicites" très fortes: les hommes grandissent avec l'idée que les femmes auraient des "compétences naturelles" pour s'occuper des enfants, et "apprennent très vite que ça n'est pas leur domaine".

"Dans combien de familles ose-t-on offrir un poupon à des petits garçons? On les tient éloignés de ce champ-là, il n'y a donc aucune raison qu'ils y pensent au moment de choisir leur orientation" professionnelle, observe cette spécialiste de la division sexuée de l'orientation et du travail.

Au final, peu d'hommes osent s'exposer à un "risque identitaire", celui de "ne plus être vu comme un vrai garçon", doublé d'un "risque économique et social", celui de choisir un métier "moins prestigieux, moins reconnu, moins rémunéré".

Attirer des femmes vers les métiers de la mécanique ou du BTP est certes difficile également, mais "la résistance est encore plus forte dans l'autre sens", observe-t-elle. Car la société reste imprégnée de l'idée que "le masculin vaut plus que le féminin", si bien que "pour un garçon, vouloir se comporter comme une fille, c'est se dégrader !".

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