Japon: une stratégie hydrogène peu "verte" et en retard sur ses objectifs

  • Dès l'origine, la stratégie hydrogène japonaise a laissé de nombreux experts sceptiques. Il lui est essentiellement reproché d'avoir négligé de développer une chaîne d'approvisionnement en hydrogène "vert", produit à partir d'énergies décarbonées ou renouvelables.
    Dès l'origine, la stratégie hydrogène japonaise a laissé de nombreux experts sceptiques. Il lui est essentiellement reproché d'avoir négligé de développer une chaîne d'approvisionnement en hydrogène "vert", produit à partir d'énergies décarbonées ou renouvelables. RICHARD A. BROOKS / AFP
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(AFP) - Le gouvernement nippon pensait dans les années 2010 avoir trouvé la solution miracle au casse-tête énergétique du Japon: bâtir une "société de l'hydrogène", en augmentant fortement l'usage de ce gaz dans l'automobile, le logement et l'industrie.

Alors que le Japon accueille ce week-end à Sapporo (nord) la réunion des ministres des pays du G7 sur l'énergie et le climat, voici un bilan d'étape de sa stratégie hydrogène, très contestée dès le départ et très en retard sur ses objectifs initiaux.

- Où en est le plan? -

Ultra-dépendant de ses importations d'énergies fossiles et privé d'une grande partie de son parc nucléaire depuis la catastrophe de Fukushima en 2011, le Japon a été le premier pays au monde à présenter une stratégie nationale en matière d'hydrogène, dès 2017.

Sur le papier, ce gaz incolore et inodore a de quoi séduire: il peut être produit, stocké et transporté en grande quantité, ses applications potentielles sont nombreuses et surtout sa combustion n'émet pas de CO2.

Le plan japonais d'origine misait beaucoup sur les véhicules à hydrogène, dont Toyota et Honda ont été des pionniers mondiaux. D'ici 2030, 800.000 voitures de ce type étaient censées circuler dans l'archipel.

C'est très mal parti: de fin 2014 à fin 2022, les ventes cumulées de ces voitures au Japon ont totalisé moins de 7.700 unités. Le gouvernement espérait initialement en voir 40.000 sur les routes dès 2020.

Malgré des subventions à l'achat, ces véhicules restent "très chers", même comparés aux voitures électriques qui, elles, deviennent toujours plus compétitives, souligne Kentaro Tamura, un expert de l'Institut pour les stratégies environnementales mondiales (IGES), établi au Japon.

Il y a aussi un manque de stations hydrogène, dont les coûts d'installation et de fonctionnement sont importants, alors que les voitures électriques "peuvent se charger partout", ajoute M. Tamura, interrogé par l'AFP.

Dans le secteur du logement, les résultats du plan hydrogène nippon sont meilleurs mais là aussi inférieurs aux objectifs initiaux.

Dotés de piles à combustible alimentées par de l'hydrogène (obtenu par du gaz), des logements produisent de l'électricité et de la chaleur: ce système appelé "Enefarm" est censé équiper 5,3 millions de foyers nippons en 2030.

Mais fin décembre 2022, le total installé était de seulement 465.000 unités, soit trois fois moins que l'objectif fixé pour 2020 (1,4 million).

"Les coûts d'installation de ces équipements sont très élevés par rapport à des technologies alternatives comme les pompes à chaleur", relève M. Tamura.

- Pourquoi cette stratégie est-elle critiquée? -

Dès l'origine, la stratégie hydrogène japonaise a laissé de nombreux experts sceptiques. Il lui est essentiellement reproché d'avoir négligé de développer une chaîne d'approvisionnement en hydrogène "vert", produit à partir d'énergies décarbonées ou renouvelables.

Le Japon a d'abord misé sur de l'hydrogène "gris", dont la production fondée sur des hydrocarbures (gaz naturel, charbon, pétrole) émet des gaz à effet de serre, et sur de l'hydrogène "bleu", qui provient aussi de ces énergies fossiles, mais dont les émissions de CO2 sont capturées et stockées.

L'Europe, la Chine et d'autres pays avancent désormais bien plus vite sur l'hydrogène vert, rare et plus coûteux pour le moment mais indispensable à la réalisation d'une véritable société décarbonée, s'inquiétait le think tank japonais Renewable Energy Institute dans un rapport publié en 2022.

De son côté, le gouvernement nippon vient d'accorder l'équivalent de 1,5 milliard d'euros à un projet controversé en Australie visant à produire de l'hydrogène à partir de charbon et à l'exporter ensuite vers le Japon. Or, rien ne garantit pour l'heure que ce projet aboutisse à de l'hydrogène "bleu".

- Comment le plan évolue-t-il? -

Le gouvernement japonais compte réviser sa stratégie hydrogène d'ici fin mai, mais cela ne devrait pas lever les doutes concernant sa compatibilité avec l'objectif de neutralité carbone d'ici 2050 que le Japon s'est fixé en 2020.

Car Tokyo insiste désormais sur une autre application potentielle de l'hydrogène et de l'ammoniac (l'un de ses dérivés): les utiliser comme combustibles pour les centrales à gaz et à charbon. Un projet là encore controversé car coûteux et semblant très éloigné d'une réelle transition énergétique.

"Le Japon est le seul pays du G7" à promouvoir cette piste, qui vise surtout à "maintenir en vie" le secteur "crépusculaire" de ses centrales thermiques, peste Hirotaka Koike, un responsable de Greenpeace au Japon interrogé par l'AFP.

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