Vagues de chaleur, pluies, sécheresses... "On n’est qu’au début des effets visibles du changement climatique"

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  • Valérie Masson-Delmotte, directrice de recherche au CEA.
    Valérie Masson-Delmotte, directrice de recherche au CEA. MaxPPP
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Propos recueillis par Manuel Cudel

Valérie Masson-Delmotte, la climatologue française, qui a coprésidé le groupe n°1 du Giec, est devenue, en 2022, selon le Time, l’une des 100 personnes les plus influentes au monde.

2023 était l’année la plus chaude de l’histoire selon Copernicus. À quels bouleversements doit-on s’attendre désormais ?

2024 sera certainement très chaude aussi. Les événements extrêmes s’intensifient, notamment les vagues de chaleur, les pluies. Les sécheresses s’aggravent. Le rythme de montée du niveau de la mer s’accélère. Le dérèglement climatique peut affecter des aspects clef, notamment la dégradation des écosystèmes avec la perte des services qu’ils nous rendent : ressources en pêche, rendements agricoles, forêts…

Il y a le manque d’eau, je pense à Mayotte, aux Pyrénées-Orientales, à la Catalogne, en ce moment. Il y a des enjeux d’approvisionnement en eau et de sécurité alimentaire, de résilience des exploitants agricoles qui sont en première ligne. Il y a aussi des enjeux multiples sur la santé, avec les vagues de chaleur extrêmes qui mettent en péril les capacités de travail en extérieur, la santé des plus fragiles, du stress post-traumatique à long terme en lien avec les incendies et les inondations. Des enjeux de sécurité des habitats, notamment sur le littoral et dans les régions tropicales avec une augmentation de la proportion des cyclones tropicaux les plus intenses. On n’est qu’au début des effets visibles du changement climatique. Cela ne va faire que s’aggraver.

L’élévation du niveau de la mer est un autre enjeu.

Les conséquences, ce sont d’abord des inondations chroniques à marée haute, comme on le voit à Cayenne. Il y a un nouveau type de risque, des inondations composites, compliquées à gérer, la même tempête pouvant donner lieu à des cumuls importants à terre et un record de niveau marin.

Ensuite, il y a l’érosion de côtes sableuses, avec des eaux salées qui s’introduisent dans les estuaires, et qui peuvent parfois poser des problèmes d’approvisionnement en eau potable. Il y aura des risques croissants pour les littoraux. On parle d’une montée de la mer de 20 cm depuis 1900, ce sera 20 cm d’ici 2050, en tout cela peut être de l’ordre de 50 cm à 1 m à horizon 2100 et on ne peut pas exclure des processus très incertains liés à des écoulements très rapides dans l’Antarctique, cela double quasiment le risque. Dans tous les cas on est partis sur plusieurs mètres de montée de la mer sur plusieurs siècles.

Quelle réponse ? Il y aura la question des coûts croissants de protection du littoral et, là où ce ne sera pas viable, des replis planifiés. Dans certaines régions du monde cela pose des questions plus aiguës, notamment dans les zones qui ne permettent pas des replis planifiés, comme les îles très plates.

Des menaces pèsent aussi sur la biodiversité.

Les pressions sur les écosystèmes et la biodiversité sont d’abord locales (destruction d’habitat, surexploitations, espèces invasives) et après il y a le changement climatique qui monte en puissance. Le risque de perte d’espèce est à peu près multiplié par dix entre un monde + 1,5°C et à +3°C.

En France, la mortalité d’arbres a fortement augmenté, avec le risque qu’on ne puisse plus maintenir certaines essences et l’accroissement des forets, qui captait à peu près 7 % des émissions de gaz à effet de serre il y a dix ans, est tombé à 4 %.

À +1,5 ou 2°C les conditions de vie sur Terre seront plus compliquées. Au-delà, notre planète deviendra-t-elle progressivement invivable ?

La question est délicate parce que les capacités d’adaptation sont déjà surpassées, ce qui conduit à des pertes et dommages graves. Chaque incrément de réchauffement va augmenter une exposition à des aléas, combinée aux vulnérabilités et à l’adaptation de chaque territoire. Des points chauds ont été identifiés : toute la région méditerranéenne (biodiversité, eau, extrêmes chauds…) les régions semi-arides, les petites îles, les zones de basse-terre, de montagne, les zones arctiques. En France, c’est à peu près deux tiers de la population qui vit dans des zones exposées aux aléas climatiques, c’est dix millions de maisons fragilisées sur des sols argileux, qui peuvent se déformer quand il y a des sécheresses plus fréquentes et intenses. L’adaptation est quelque chose qui se construit, mais elle a parfois ses limites.

Avec ces signaux d’alerte, le climatoscepticisme régresse ?

Il prend d’autres formes. Ce n’est plus tenable de dire que le changement climatique n’existe pas, ce qu’on voit c’est plutôt un déplacement de la discussion qui va viser à saper les transformations nécessaires. Beaucoup de personnes que j’ai croisées récemment avaient aussi l’intime conviction que ce qui pesait le plus sur le gaz à effet de serre, c’était le transport maritime, alors que c’est le transport terrestre. On voit monter de nouvelles formes de désinformation sur les réseaux sociaux qui cherchent à polariser sur chaque levier d’action et à dédouaner les individus de leurs responsabilités. Or dans un contexte d’inflation, tout ce qui va faire croire qu’on peut garder la même manière de faire va trouver une écoute très forte dans des familles qui ont du mal à boucler les fins de mois.

Que vous inspirent les phénomènes d’écoanxiété ?

La prise de conscience peut être très vive, peut conduire au déni, à la colère, au sentiment d’impuissance. Il est important d’expliquer la gravité de la situation aux enfants, mais aussi la capacité à agir. Il y a aussi d’autres aspects de santé mentale liés au changement climatique, comme la solastalgie, c’est-à-dire le sentiment de deuil quand un écosystème auquel on tient (une forêt, une plage, un glacier, etc.) ou un mode de vie disparaît.





 

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