INTERVIEW. Economie en Aveyron : l'ancien président de la CCI Manuel Cantos dit "halte au discours dominant"

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  • Manuel Cantos: « La fibre de l’entrepreneur, c’est de créer de la valeur ajoutée, et c’est ce qu’il nous faut en Aveyron »
    Manuel Cantos: « La fibre de l’entrepreneur, c’est de créer de la valeur ajoutée, et c’est ce qu’il nous faut en Aveyron » Centre Presse - José A. Torres
Publié le , mis à jour
Propos recueillis par Christophe Cathala

Ancien président, entre autres, de la CCI et du tribunal de commerce, entrepreneur au brillant parcours dans bien des domaines, Manuel Cantos livre son regard sur ce monde qui nous entoure en plaidant inlassablement sur la nécessaire volonté d’entreprendre.

Toujours bon pied bon œil à 86 ans, Manuel Cantos est "retiré des affaires", même s’il n’en est jamais bien loin. Il conserve en tout cas un regard "attentionné" sur l’évolution de notre société et de l’économie qu’elle génère, en ne boudant pas son plaisir d’être considéré comme quelqu’un qui dit tout haut ce que nombre de gens pensent tout bas.

Petit tour d’horizon, en franc-parler, avec celui qui peut se prévaloir d’une sagesse que confère l’expérience.

Vous qui êtes un expert, un observateur attentif et passionné de l’évolution de l’économie, qu’est ce qui qualifie le mieux les entrepreneurs aveyronnais dans le contexte actuel ?
Notre société change, nous vivons beaucoup de turbulences. Notre chance en Aveyron, c’est d’avoir des entrepreneurs viscéralement attachés à l’entreprise, nombreux sont les exemples de réussite, en Aveyron et ailleurs, quel que soit le contexte.

La fibre de l’entrepreneur, c’est de créer de la valeur ajoutée, et c’est ce qu’il nous faut en Aveyron. Et encourager les petites affaires à grandir, développer pour nos futurs entrepreneurs l’amour du territoire.

Pour autant, est-ce que le territoire le leur rend bien ?
Malheureusement, il ne les aide pas toujours, c’est un peu compliqué d’entreprendre en Aveyron. L’enclavement est un handicap, il faut au moins un fort réseau routier, on aurait pu relier en traversant l’Aveyron l’A20 et l’A75… Mais ne rêvons pas, on n’aura pas de grosses entreprises qui s’installeront chez nous. Et l’on n’est plus dans la période où l’on attendait les clients, il faut conquérir les marchés.

Et parmi les handicaps, nous avons aussi une population vieillissante, ce qui n’est pas très bon. Beaucoup de jeunes s’en vont, attirés par la lumière, car ils ont tout dans les grandes métropoles. Même si l’Aveyron fait des efforts en ce sens, c’est compliqué pour eux et l’on en paye les conséquences avec la pénurie de main-d’œuvre.

Quelles sont vos solutions pour compenser ces handicaps ?
On ne peut réussir que par le travail. Le travail n’est pas que la souffrance, c’est aussi de grands moments de plaisir. Et je pense que l’on a perdu la notion de l’effort. Pour moi, une vie sans ambition est une vie manquée. Alors il faut trouver sans cesse de nouveaux créneaux, avoir de l’audace, cultiver une nécessaire prise de risque que les jeunes aujourd’hui ne veulent plus assumer.

Vraiment ? Quel est donc le regard que vous portez sur les jeunes générations et leur relation au travail ?
Il y a tellement d’aides aujourd’hui, pour tout et pour rien… Il faut accepter les sacrifices, on ne peut pas avoir seulement une vie de bien-être et de loisirs. Il faut par exemple obliger les jeunes à faire un parcours de stage, dans la formation en alternance…

De façon générale, on ne parle que de droits et rarement de devoirs. Je salue d’ailleurs la belle initiative du président de la CCI, Dominique Costes et de ses équipes d’avoir mis en place la Cité de l’entreprise, à Rodez.
Les dirigeants témoignent de leurs problèmes de recrutement. Ils me disent : “Nos éventuels candidats nous annoncent gagner aujourd’hui presque autant au chômage que s’ils travaillent”.

Et les jeunes veulent surtout des CDD, contrats à durée déterminée, pas des CDI à durée indéterminée, de façon à retrouver rapidement des droits au chômage. Le système qui s’est installé est un peu pervers et se retourne contre nous.

Ce qui me gêne c’est l’ivresse d’avoir pour objectif de travailler de moins en moins, alors que l’objectif est de se valoriser.  Et les entreprises subissent par manque de main-d’œuvre. C’est une dérive.

Vous êtes bien sévère… Est-ce réellement la faute des jeunes ?
Ce qui a fait mal, c’est le changement rapide de comportements dans la société. L’idéologie n’est plus adaptée à un contexte où l’économie de marché commande, quoi qu’on en dise. Par exemple, on ne veut plus de voitures dans les villes.

Mais les gens vivent avec leurs bagnoles, c’est comme ça. On les envoie donc directement dans les zones commerciales et les commerçants des centres-villes sont sanctionnés !

En fait, c’est avec les gouvernants que je suis sévère. La communication a pris le pouvoir sur l’information, ce n’est pas bon. L’autosatisfaction permanente ne permet pas vraiment la remise en cause. Il nous faut des discours où l’on partage des inquiétudes et la nécessité de cultiver l’esprit de conquête pour l’avenir. Halte au discours dominant qui dit que tout va bien ! Et qui neutralise la volonté d’entreprendre !

Je crois que nos gouvernants sont déconnectés du terrain, sauf nos élus locaux de proximité, toujours confrontés aux réalités de ce même terrain.

Mais les entreprises n’ont-elles pas, elles aussi, leur part de responsabilité ?
C’est certain. L’entreprise est aussi fautive car elle ne sait pas se vendre. Le chef d’entreprise ne s’exprime pas ou peu. Et ceux qui sont silencieux n’ont plus de place dans la société actuelle où il faut exister à tout prix. Or il faut savoir dire que lorsqu’on entreprend, on s’élève.

De ce côté-là, l’économie aveyronnaise s’en sort plutôt bien et a traversé sans trop d’encombres la période du Covid, si l’on en croit les indicateurs de radiations et de créations d’entreprises, au bénéfice de ces dernières…
Mais ces chiffres ne reflètent pas forcément la réalité. Quand la Sam disparaît avec 300 emplois, cette seule radiation est plus importante que la multitude de créations qui concernent souvent des autoentrepreneurs qui ne créent pas de l’emploi, si ce n’est le leur.

Ils ne créent pas de richesse, mais il faut le voir plutôt comme une étape dans un parcours. Alors, en Aveyron, il faut faire attention à ne pas glisser vers la tentation du tout va bien chez nous…

Quel conseil majeur donneriez-vous à quelqu’un qui veut créer son entreprise ?
D’avoir surtout une forte volonté de prouver que, dans notre vie, nous existons et que nous avons besoin d’y jouer un rôle.

Parcours : un autodidacte « qui a eu de la chance »

C’est en 1955 que Manuel Cantos reprend la petite laverie familiale créée à Decazeville en 1949 et tenue par sa mère Madeleine. Son frère Robert le rejoint en 1958 : à eux deux, ils feront grandir la société, au fil de rachats successifs, devenue une des plus importantes blanchisseries du sud de la France, avec une centaine d’employés en 1991, à Decazeville, Périgueux, Agen, Bordeaux et Montpellier.

Manuel Cantos développera en parallèle d’autres activités en créant deux hôtels Campanile à Albi et Arles, une résidence pour personnes âgées à Albi (1990), et une implication forte dans les énergies renouvelables : 4 centrales hydroélectriques à Pamiers (1997), 18 éoliennes à Tuchan dans l’Aude, et on en oublie tant le parcours ressemble à un inventaire à la Prévert.

Il a toujours voulu garder les pieds sur terre : en 2003, son groupe compte 14 sociétés et 380 salariés, des arbitrages sont à faire "pour ne pas se disperser", des cessions suivront. "Être audacieux et entrepreneur c’est bien, mais attention à ne pas se mettre en difficulté", professe celui qui reconnaît « n’avoir eu que peu d’échecs mais beaucoup de chance » dans ses affaires.

Aujourd’hui, sont détenues par le groupe Cantos, la marque Ondulia, 26 sociétés dans les activités du solaire, de l’hydroélectricité, de l’éolien, de l’hydrogène et de la recherche. Et ce sont ses enfants qui sont désormais à la manœuvre.

Philosophie de la réussite

Manuel Cantos a, d’ailleurs, un certain regard sur la réussite que beaucoup lui prêtent : "C’est prétentieux de parler de réussite, on n’a jamais vraiment réussi, c’est une remise en cause quotidienne. J’ai la chance d’avoir deux piliers solides auprès de moi : mon épouse Christiane et mon frère Robert. De toute façon ; pour réussir, il faut savoir saisir la chance si elle se présente".

Il conserve une légitime fierté des multiples présidences qui ont été les siennes, notamment celle de la CCI de 2011 à 2016, celle du tribunal de commerce durant 8 ans et conserve une affection pour son rôle de conciliateur de justice auprès de la cour d’appel de Montpellier qu’il a désormais cessé après six ans de bons et loyaux services.


 

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