Aveyron : à Villefranche-de-Rouergue, "l'engrenage" du trafic d'héroïne

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  • Les gendarmes de Villefranche-de-Rouergue avaient qualifié la saisie "d'historique". Les gendarmes de Villefranche-de-Rouergue avaient qualifié la saisie "d'historique".
    Les gendarmes de Villefranche-de-Rouergue avaient qualifié la saisie "d'historique". - Repro CP
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Après Rodez, Espalion ou encore Capdenac, un nouveau trafic d'héroïne a été démantelé dans le département. Ses acteurs ont été condamnés ce lundi devant le tribunal. Ils agissaient à Villefranche-de-Rouergue. 

Elle a fait trembler les États-Unis et les rues de ses mégapoles dans les années 1960. Elle a ensuite fait des ravages dans les quartiers populaires de l’Hexagone, réduit des vies en poudre à l’ombre des faubourgs des grandes villes... Elle, c’est l’héroïne. Et ces dernières années, elle a aussi gagné les campagnes aveyronnaises. À Espalion, à Capdenac, à Rodez, à Decazeville, à Millau… de nombreux réseaux sont tombés récemment. Cette semaine, l’héroïne était de nouveau au cœur d’un procès au palais de justice. Cette fois, il avait Villefranche-de-Rouergue pour décors. Et il était bien plus vaste que les autres. Récit.

14 heures, ce lundi. Emeline Gardes fait l'appel des nombreux prévenus, les regards sont tournés vers Laurent (le prénom a été modifié). Sous escorte, le visage marqué, blafard, lui ne veut croiser le regard de personne. Sa mère est pourtant là, dans le public, installée tout au fond de la salle... Laurent a 38 ans, il a passé toute sa vie à Villefranche-de-Rouergue. La drogue, il est tombé très tôt dedans. Il date sa rencontre avec l’héroïne à l’été 2020. Il devient d’emblée accro, consomme jusqu’à plus de 10 grammes certains jours. Un seul se vend en moyenne 40 euros. Alors, il faut de l'argent. Sans emploi et sans aucune ressource - "Je n'ai jamais fait les démarches pour toucher le RSA", dit-il -, il passe de consommateur à dealeur. "Comme pris dans un engrenage, dont il ne pouvait pas sortir...", résume son conseil, Me Sylvie Bros. Dans son petit appartement de la rue Sainte-Emilie-de-Rodat, un défilé quotidien de consommateurs s'organise. Des locaux pour la plupart.

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Le défilé à l'appartement

À l’image de cet ancien forgeron de la région, père de trois enfants. Il est tombé "dans ce poison", selon ses mots, après qu'on lui ait prescrit de la morphine pour un souci de santé. Il consomme beaucoup et pour éponger ses dettes, on dit que ce gaillard sert "d'homme de main" à Laurent. Il y a aussi une fonctionnaire, sans histoire, la cinquantaine et toxicomane depuis ses 16 ans. Son partenaire est client aussi. À eux deux, ils laissent parfois plus de 4.000€ par mois à Laurent. Ou à sa compagne. Elle est plus jeune, toxicomane aussi et comme tous les autres, il lui arrive de revendre à petites doses. "Souvent pour des gens que Laurent ne voulait pas servir", confie-t-elle. Tout ce beau monde se retrouve ce lundi devant le tribunal. 

Car il y a un an, la gendarmerie de Villefranche-de-Rouergue met fin au trafic. Après des mois de filatures, d'écoutes et de renseignements anonymes. En 2021 déjà, une source avait informé la section de recherches de Toulouse d'un trafic dans le villefranchois. Quelques semaines avant, la brigade locale avait entendu Laurent et sa compagne. Ils venaient de subir une agression, particulièrement violente, à leur domicile. Ils ne déposent pas plainte et disent le minimum. Cela renforce les soupçons des enquêteurs. Car selon plusieurs informations, les agresseurs ont dérobé un kilo d'héroïne et plus de 30 000€ en petites coupures... Mais le trafic reprend. Les filatures aussi. Elles permettent de remonter jusqu'aux fournisseurs du dealer villefranchois. Ils sont originaires du Nord, des quartiers de Lille. Rien de surprenant, la capitale des Flandres est depuis plusieurs années la porte d'entrée de l'héroïne dans l'Hexagone, du fait de sa proximité avec les grands ports belges et néerlandais. Le 31 mai 2022, deux berlines du Nord arrivent à Villefranche-de-Rouergue. Une transaction se prépare. Elle n'aura pas lieu, les forces de l'ordre passent à l'action. Dans l'une des voitures, 6,5 kilos d'héroïne sont retrouvés. La perquisition chez Laurent est fructueuse aussi : les enquêteurs mettent la main sur de l'argent liquide, une balance, des armes, des résidus d'héroïne, de la cocaïne, du cannabis...

Filière du Nord

"J'ai reconnu les faits, j'ai fait une erreur. J'ai fait cela pour gagner de l'argent et payer ma conso", souffle-t-il aujourd'hui devant le tribunal. Il est en prison depuis plus d'un an et dit être devenu abstinent. Il ne prend même plus de substitut. Combien a-t-il gagné grâce à ce trafic ? On ne le saura pas vraiment. Selon lui, entre 5 et 10 000€ par mois. Selon d'autres calculs d'enquêteurs, plus de 80 000€... À ses côtés, face à la juge Emeline Gardes, comparaissent également deux hommes. Il s'agit des "Nordistes", les fournisseurs originaires d'un même quartier de Lille. L'un d'eux, le plus âgé (49 ans), a fait plusieurs voyages à Villefranche-de-Rouergue. Un tous les mois selon les enquêteurs. Il est soupçonné d'être l'organisateur du trafic. Lui réfute cette casquette. "Moi, je venais pour récupérer des enveloppes d'argent, à la demande de commanditaires", avoue-t-il simplement, se disant "naïf". Le 31 mai 2022, il servait de voiture "ouvreuse" à une connaissance de quartier, un jeune homme algérien en déshérence à l'époque. C'est dans son véhicule que la drogue a été trouvée. "C'était mon premier convoi", assure-t-il devant le tribunal. Sa compagne de l'époque, auditionnée, avait indiqué qu'il l'avait fait "pour gagner pas grand-chose : 2000, 3000€". Depuis, ils sont séparés. Lui a repris sa vie en Belgique où il travaille comme électricien. Tous ont fait plusieurs mois de détention provisoire depuis les faits. Seuls sont encore en détention Laurent et son intermédiaire lillois. Le premier a écopé de 4 ans de prison. Le second de 3 ans. "Il paie pour ceux dont il tait le nom et dont l'enquête n'a pas permis de retrouver la trace, faute de recherches suffisantes. Lui n'est qu'un pion, qu'un convoyeur", avait plaidé son conseil du barreau de Paris.

Le jeune convoyeur a, lui, été condamné à 1 an et demi. Les "petits" revendeurs locaux, affiliés à Laurent, ont eux écopé d'une peine d'un an de prison... Ils pourront effectuer cette peine sous bracelet électronique. Le tribunal de Rodez leur a également interdit de paraître à Villefranche-de-Rouergue durant cinq ans. "Car on sait comment cela se passe. Dès que vous allez revenir, on va vous appeler pour se procurer de l'héroïne et il y a un risque que vous repreniez vos habitudes", avait précisé la procureure Esther Paillette, lors de ses réquisitions. Tout en rappelant qu’au-delà de la "catastrophe sanitaire", l’héroïne mettait à mal toute la quiétude d’une ville ou d’un village...

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