Guerre en Ukraine : les tensions entre Kiev et Varsovie représentent "un mauvais coup pour l’Otan"

  • Le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki.
    Le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki. MAXPPP - Tomasz Gzell
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Recueilli par Pierre Challier

À la suite du différend céréalier, la Pologne a annoncé qu’elle ne livrerait plus d’armes à l’Ukraine, avant de temporiser. Le général Jean-Paul Perruche, ex-directeur de l’état-major de l’UE, analyse ce retournement de situation.

Chars, avions de chasse, obusiers, munitions… La Pologne a massivement soutenu l’Ukraine depuis 2022 tout en accueillant ses réfugiés. Comment analysez-vous ce coup de froid entre les deux pays ?

Il y a deux explications à l’attitude polonaise qui, au demeurant, ne remet pas en cause le transit par son territoire des approvisionnements militaires d’autres pays vers l’Ukraine. La première, c’est que nous sommes en période préélectorale, en Pologne. La “clientèle agricole” fait partie des principaux électeurs du PIS, le parti actuellement au pouvoir en Pologne. Sanctionner l’Ukraine - qui a déposé une plainte auprès de l’Organisation mondiale du commerce contre le gouvernement polonais ne laissant pas transiter ses céréales - est donc d’abord un geste de politique intérieure, c’est évident. Mais l’autre point à souligner, c’est aussi que la Pologne, en plein renouvellement de ses capacités militaires, est vraisemblablement au bout de ce qu’elle pouvait fournir en armement d’“ancienne génération”.

Varsovie veut construire l’une des plus puissantes armées d’Europe…

Absolument. Ce sera 30 milliards d’euros de dépenses en 2024, 4 % du PIB pour son budget de défense avec un énorme carnet de commandes lancé depuis plusieurs années auprès des États-Unis, incluant des avions F-35, près d’un millier de chars et des centaines de canons.

Le message envoyé par Varsovie n’est-il pas négatif, auprès de ses alliés occidentaux, autant qu’un succès inattendu pour Moscou ?

C’est effectivement un très mauvais coup porté à la cohésion de l’Otan et ce, à plusieurs niveaux. Ce qui a rapproché la Pologne - membre de l’Otan - de l’Ukraine - candidate à l’Alliance atlantique -, c’est leur ennemi commun : la Russie. Cet épisode, dans lequel le souverainisme polonais prime, est donc une “aide” à Moscou au sens où il lui donne à voir une division entre deux voisins qui devraient être des alliés indéfectibles. Il rappelle aussi que la Pologne a un problème avec l’Europe qui ne date pas d’hier : elle est sous le coup de sanctions de l’UE pour ses dérives autoritaires avec la menace de voir suspendus les crédits de relance qui lui étaient dévolus.

La Pologne n’hésite donc pas à confirmer qu’elle est pays le moins respectueux de cette autre alliance qui avait pourtant mis en place des financements compensatoires pour les agriculteurs polonais ! Une attitude qui porte aussi en elle le risque de faire “tache d’huile”, avec des pays comme la Hongrie d’Orban. Quant au message adressé aux États-Unis, il est également très négatif, en justifiant auprès d’eux ce cliché d’Européens “incorrigibles” dans leurs divisions, malgré les financements américains.

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