Il incarnait les Lumières de la ville de Millau : le très cinéphile André Oskola s'est éteint

  • André Oskola était un infatigable passeur d'images, sans oeillères, toujours curieux, joyeux, lumineux.
    André Oskola était un infatigable passeur d'images, sans oeillères, toujours curieux, joyeux, lumineux. Repro CPA - Midi Libre - EVA TISSOT
Publié le , mis à jour
Jérémy Bernède (Midi Libre)

Pendant vingt-deux ans, de 1989 à 2011, André Oskola a géré et animé le cinéma de Millau, alors nommé Les Lumières de la ville, l'installant dans la cinéphilie, l'art & essai, le confort et la modernité. Il s'est éteint ce vendredi 22 décembre à l'âge de 72 ans après d'un combat acharné contre le cancer.
 

Quelque chose nous dit que les scènes post-génériques, comme il en existe tellement désormais, devaient bien le faire marrer. Cette incapacité, sans doute un peu juvénile, à accepter de conclure, à reconnaître que, ben, oui, "That's all, folks !" Mais surtout cette envie de donner rendez-vous et, moyennant les images de cette séquence supplémentaire, de se prolonger au-delà de soi-même, et de vivre encore dans les conversations et les imaginations, jusqu'à la revoyure... On aurait bien aimé une scène post-générique pour André Oskola.

Mais le cancer ne fait pas de cinéma, ni de sentiment. Après deux ans d'un combat acharné contre la maladie, André Oskola s'est éteint au matin du vendredi 22 décembre à l'hôpital de Millau. Il était âgé de 72 ans. 

Vingt-deux ans à l'affiche

Pour des générations de Millavois, il restera comme LE patron du cinéma local. Pendant vingt-deux ans (du 4 avril 1989 au 15 mars 2011, pour être tout à fait précis), il a en effet été le gérant, d'abord avec Yves Lebaron, puis seul quand ce dernier a fait valoir ses droits à la retraite, du cinéma millavois, municipalisé au début des années 90. On parle alors des "Lumières de la ville" (nom de leur SARL), et on en parle beaucoup, et en bien : ces Lumières-là ne sont pas des loupiotes de vitrine commerciale, ni des veilleuses pour vous aider à trouver le sommeil. André Oskola fait dans la cinéphilie à la fois enflammée et éclairante.

Enflammée car elle ne craint pas de secouer le cocotier pour en faire tomber les meilleures pelloches, et les défendre bec et ongles, mais plutôt bec (qu'il est d'ailleurs difficile de lui clouer, et pourquoi le ferait-on ? L'écouter est toujours un régal, truffé à l'humour, et saupoudré à la sagesse). Éclairante car elle entend non pas faire tomber la lumière sur quelque obscurantisme visuel, mais les partager au pluriel, les lumières, dans l'obscurité de ses salles, multipliant pour cela les animations, les cycles thématiques, les soirées spéciales et les avant-premières en présence de cinéastes.

Une jeunesse parisienne

La passion dévorante (et délirante, surtout, c'était bon) du cinoche, André Oskola l'a chopée à Paris dans ses plus jeunes années. Fils de rescapés polonais d'origine juive, né le 21 mai 1951, il obtient son baccalauréat en candidat libre à 17 ans, et bosse ensuite, un peu dans tout, la menuiserie notamment. Il traîne du côté de l'ORTF (Office de radiodiffusion-télévision française, l'ancêtre de l'Institut national de l'audiovisuel), où il est stagiaire au service de recherche. Il fréquente alors Paul Grimault, génie du cinéma d'animation français, auteur du Roi et l'oiseau, vénéré par Hayao Miyazaki. Il est aussi proche de Jean de Maximy, le père d'Antoine, le futur animateur de l'émission J'irai dormir chez vous. Pour continuer avec ses fréquentations, il sera aussi un bon pote de Robin Cook, sacré plume du polar britannique qui viendra, comme lui d'ailleurs, poser ses valises et ses angoisses dans l'Aveyron.

Pour André Oskola, qui passe donc sa jeunesse à bouffer de la pelloche (d'Einsenstein à Kurosawa, en passant par Leone, Trnka ou Starevitch), la descente jusqu'au pays caussenard se fera à bord du train des idées : à Paris, il fréquente les milieux anarchistes et quand il a vent de la possible extension du camp militaire du Larzac, il rejoint la lutte, et le coin. Il s'y trouve si bien qu'avec sa compagne Claude, alors prof à Paris, ils finissent par s'y installer. Une petite bicoque du côté de Saint-Affrique, où Claude obtient sa mutation et où André se consacre à leur fille, Juliette, née en 1981. C'est l'époque où il sympathise avec son futur associé Yves Lebaron, qui bosse alors dans la banque, et avec lequel il s'amuse à monter des petites pièces radiophoniques à Radio Saint-Affrique et à Radio Trénels. Jusqu'au jour où Claude Canillac, partant à la retraite, met en vente son fonds de commerce : le cinéma de Millau...

Un succès populaire et artistique

Durant les deux décennies à la tête des Lumières de la ville, André Oskola aura réussi à révolutionner, ni plus, ni moins, les lieux, faisant certifier plusieurs salles "art & essai" (de sorte que le cinéma put accéder plus facilement à la crème des films d'auteur), mais aussi et surtout obtenant en 1999 la remise remis à neuf des trois salles et la création d'une quatrième permettant de porter la capacité du complexe à 575 places. Les Millavois se souviennent sans doute encore que la toute première projection dans la plus grande salle fut réservée à La menace fantôme, premier volet de la prélogie Star Wars de George Lucas.

Ni snob, ni pédant, Andé Oskola défend tous les cinémas d'où qu'ils sortent, pourvu qu'ils soient bons. Et ça paie : dans la première décennie, la fréquentation annuelle des Lumières de la ville passe de 40 000 à 70 000 spectateurs, et dans la suivante, elle se stabilise autour des 80 000. Pour une des plus petites sous-préfectures de France, c'est mieux que pas mal ! Dans le même temps, il est parvenu à inscrire le cinéma de Millau dans la dynamique d'Education à l'image, contribuant aux dispositifs "Ecoles et cinéma", "Collège au cinéma", "Lycéens au cinéma" mais aussi à l'option Cinéma-audiovisuel du lycée public Jean-Vigo. Sans compter qu'il programme aussi pour les salles de Decazeville, Capdenac, Requista et Villefranche-de-Rouergue !

Un rebond saint-affricain

Las ! Alors que la SARL Les Lumières de la ville a jusque-là réussi à voir sa délégation de service public (DSP) renouveler sans trop de difficultés, en novembre 2010, elle la perd ! Faute semble-t-il de ne pas avoir pensé à refaire officiellement acte de candidature dans les délais prescrits. La Municipalité d'alors souligne aussi des problèmes de gestion. S'ensuit une période plus chagrinante, où un comité de défense, Millau pour le cinéma, tente sans succès plaider la cause d'André Oskola.

Sa dernière séance le 15 mars 2011 sera pour des courts métrages burlesques (il adore le court métrage à peu près autant que le cinéma d'animation : trop ? non, jamais trop). C'en est fini des Lumières de la ville. Mais certainement pas de celles d'André Oskola qui, désormais, va les réserver au ciné-club de Saint-Affrique, qu'il programme le deuxième lundi du mois, pour une petite centaine de paires d'yeux qui brillent (le reflet de ses lumières). Et de continuer à alimenter le foyer de ses diverses flammes : eh oui, outre le cinéma, les bouquins, les concerts, les expos le passionnent, lui comme son épouse.

Si n'avait été ce fichu crabe, sans doute aurait-il continué à repousser joyeusement, sale-gossement même, les limites de sa culture encore et encore. Du reste, le cancer lui ronge déjà la tripe qu'il n'en suit pas moins les conseils de sa curiosité, qui le pousse toujours à l'ouverture d'esprit et des yeux, parce qu'il ne faut rien rater. Ainsi, pourtant très malade, n'a-t-il pas loupé le mois dernier Killers of the flower moon... Il n'y a pas de scène post-générique dans le dernier Scorsese. Inutile... Pour André Oskola, on aurait bien aimé.    

Qu'il nous soit permis d'adresser nos plus sincères condoléances à son épouse Claude, sa fille Juliette, ainsi qu'à leurs familles Oskola et Favier.

Une cérémonie civile sera célébrée le mercredi 27 décembre 2023, à 11 h au crématorium d'Albi. Avant cela, les visites sont possibles à la chambre funéraire Cambon, parc d'activité du Bourguet à Vabres, mardi 26 décembre de 15 h à 17 h.
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