Millau. Le calme avant la tempête

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  • La lutte de la Confédération des producteurs pour la défense du Roquefort mènera à une prise de conscience massive.
    La lutte de la Confédération des producteurs pour la défense du Roquefort mènera à une prise de conscience massive. F. Celie
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JDM

Plongée dans les événements du 12 août 1999. Un épisode altermondialiste qui demeure, vingt ans plus tard, comme le "démontage du McDonald’s" dans l’esprit des Français. Du contexte économique international aux débats sociologiques sur l’alimentation qu’elle a ouverts depuis, en passant par l’emballement médiatique qui l’a accompagné, l’action menée par José Bové et la Confédération paysanne résonne encore vivement en 2019.

L’été 1999 est chaud à Millau. Pour comprendre les événements qui aboutiront sur ce qui fut appelé le "démontage" du McDonald’s de Millau, il faut se replonger dans un contexte économique et agricole particulièrement tendu sur le plan international. La situation fait alors une victime : le roquefort. Difficile à avaler, à l’époque, pour ses défenseurs.

Le roquefort pris en otage

Dix ans plus tôt, en 1989, l’Europe a obtenu l’interdiction d’utiliser les hormones de croissance dans l’élevage. L’UE refuse alors d’importer des États-Unis de la viande de bœuf élevé aux hormones de croissance. Malgré cette victoire, sur le plan sanitaire et idéologique, des défenseurs d’une agriculture raisonnée, l’Organisation mondiale du commerce (OMC), créée en 1996, autorise les sanctions américaines contre l’Union européenne. L’Oncle Sam inflige au roquefort, comme à soixante autres produits, une surtaxe de 100 % aux douanes outre-Atlantique, en guise de "représailles".

La décision laisse présager un préjudice de 30 millions de Francs pour les producteurs de roquefort, chiffre-t-on à l’époque. "On était outrés par le fait que les États-Unis surtaxent le roi des fromages et nous vendent leur ersatz d’alimentation, se souvient le militant historique du Larzac, Léon Maillé, qui fera partie des principaux acteurs du "feuilleton" McDonald’s. Tout part de cette idée de défendre la production locale."

Parallèlement, le 19 février 1999, est délivré à la SA McDonald’s France un permis pour la construction d’un restaurant franchisé de 373 m2 au lieu-dit Bêches, aux portes de Millau. Aux aguets face à l’intrusion de l’insatiable fast-food près d’un Larzac dont les bruissements de contestation ne se sont jamais éteints, la Confédération paysanne accueille, au printemps, le conférencier Paul Ariès, observateur de la "McDonalisation du monde". Si elle ne figure pas en première ligne du courroux des militants, l’installation du McDo est perçue comme une provocation. La Confédération y voit-là une fenêtre de tir parfaite pour agir.

Le géant américain de la restauration rapide représente à leurs yeux la cible idéale, symbole de la malbouffe et du néolibéralisme mondialisé. Christian Roqueirol, qui sera ensuite incarcéré pour avoir participé à l’action du 12 août, accepte l’idée de s’en être pris à un emblème. " L’élément déclencheur, ce n’est pas la construction du McDonald’s. On voulait profiter de cet événement pour mettre à l’index la surtaxation du roquefort par les USA et le rôle de l’OMC dans tout ça. On s’en prenait à la nourriture à l’américaine. C’était un combat en faveur de la bonne bouffe, contre la malbouffe. Il était inconcevable que l’on puisse surtaxer un bon produit, alors qu’on en autorise un mauvais sur notre territoire."

Fin juillet 1999, le Syndicat des producteurs de lait de brebis (SPLBR) et la Confédération paysanne se réunissent à Saint-Affrique. "La première réunion où on a parlé du démontage du McDo, c’était à Saint-Affrique, se remémore Léon Maillé. Le SPLBR se réunissait chez Tintin. L’idée a démarré là." José Bové, instigateur de l’action, confirme. "D’une discussion, surgit l’idée de démonter le McDo en construction à Millau. C’était le symbole de l’agriculture industrielle et de la bouffe standardisée. C’était USA contre AOC Roquefort, la première AOC de France, un symbole", recontextualise celui qui, deux ans plus tôt, participe à la création de la Confédération paysanne.

Enjeux d’image

Début août, les militants de la Conf tiennent une conférence de presse au café de la Perle, à Millau, sorte de "quartier général" de longue date, et annoncent publiquement le démontage. "Le jeudi 12, à 11 h, on démontera le McDo pour protester contre la surtaxation du Roquefort et les dérives du modèle économique mondial qui se met en place", brandissent, ce jour-là, les militants face aux journalistes. La démarche n’est pas sans enjeu pour la Confédération paysanne, qui tente aussi d’égratigner l’hégémonie du majoritaire FNSEA.

Clin d’œil de l’histoire, les militants contournent au passage un "aléa cosmique". La date du 11, initialement choisie, coïncide en effet avec l’éclipse de Soleil… "L’objectif était d’avoir une bonne couverture médiatique", précise en tacticien José Bové, qui comprend les enjeux de l’époque en termes d’image, sans pour autant se douter des dimensions que prendront les événements par la suite.

Ce 12 août 1999, c’est en effet le point de départ d’un immense emballement médiatique auquel personne ne s’attend. Un feuilleton qui verra l’émergence d’un leader, José Bové, tout autant qu’il constituera l’acte fondateur de la vaste croisade anti-Organisation mondiale du commerce (OMC).

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