Pour résister, le roquefort travaille ses marchés

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  • Environ 16 500 tonnes ont été commercialisées l’année dernière.
    Environ 16 500 tonnes ont été commercialisées l’année dernière. Photo archives ML
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RICHAUD Guilhem

Alors que le volume global des ventes baisse depuis plusieurs années, les petits fabricants s’en sortent plutôt bien. Mais après une année 2020 qui a bouleversé le marché, ils continuent à plancher à leur développement.

La baisse est durable. Elle dure depuis maintenant assez longtemps pour que ce ne soit plus seulement qu’une anomalie. Le roquefort perd des parts de marché. Tous les fabricants confondus, le tonnage vendu chaque année a diminué d’environ 1 % en 2020 par rapport à l’année précédente. Des chiffres similaires aux exercices précédents. "Depuis les années 2000, nous sommes passés à 16 500 tonnes de roquefort commercialisées par an, assurait en début de semaine à Midi Libre Jean-Marc Chayrigues, président de la Confédération générale du roquefort, qui regroupe producteurs de lait et fabricants, et qui gère l’AOP. Au plus haut, la filière commercialisait jusqu’à 18 000 tonnes. Les habitudes de consommation évoluent. On a un produit qui est fort, qui est salé. Les jeunes passent de moins en moins de temps à table. Le plateau de fromages, en fin de repas, tend de plus en plus à disparaître."

Les ventes souffrent, mais ce n’est donc pas forcément à cause de la crise du Covid-19. En effet, si en mars 2020, au moment du premier confinement, certains se sont retrouvés en difficulté, les choses se sont ensuite arrangées. Et ce malgré la fermeture, plus de la moitié de l’année, de nombreux restaurants, avec lesquels les sept fabricants (Société des caves, Papillon, la Pastourelle, Gabriel Coulet, Vernières, Le Vieux Berger et Carles), ont fini par s’y retrouver. C’est le cas notamment de la maison Carles, l’un des plus petits fabricants, dont les produits sont vendus quasiment uniquement dans les crémeries, les fromageries et les marchés. "Au moment du premier confinement, il y a eu un gros impact, mais derrière, c’est reparti, détaille Delphine Carles, la petite fille du fondateur, désormais à la tête de l’entreprise, qui réalise 4,8 M€ de chiffre d’affaires annuel. J’ai l’impression que les gens ont adopté de nouveaux modes de consommation et sont notamment allés davantage chez le fromager. Finalement, il ne leur reste que ça à faire : manger et travailler."

Même effet chez Gabriel Coulet, "le plus petit des gros fabricants". Avec 10 % des ventes globales (1 650 tonnes annuelles environ), la maison a plutôt bien résisté. "Finalement, l’année 2020 a été plutôt positive, détaille Jean-Pierre Laur, dirigeant de l’entreprise, copropriétaire avec Emmanuel Laur. On est même en légère progression. Après, c’est sûr que beaucoup de nos clients ont été impactés. Nous travaillons avec des traiteurs, des restaurateurs et des grossistes qui se sont retrouvés à l’arrêt. Mais d’autres ont cartonné, que ce soit une partie de la grande distribution ou des fromagers. Sans cela, on aurait même pu faire mieux." Depuis plusieurs années, Gabriel Coulet s’attache à avoir le réseau de distribution le plus large possible. Ce travail à permis à l’entreprise de plus que limiter la casse en 2020.

Reprendre le développement

Si le marché, archi-dominé par Société des caves (groupe Lactalis), qui concentre environ 60 % des ventes est en baisse globale, l’année 2020, finalement loin d’être catastrophique avec 1 % de baisse seulement, offre l’espoir d’une relance en 2021 ou dans les années à venir en fonction de l’évolution de la situation sanitaire. "On doit continuer à développer notre réseau distribution chez les crémiers et les fromagers, souffle Delphine Carles. Mais il faut aussi qu’on soit sur toutes les tables dès que les restaurants vont rouvrir. Jusque-là, on était présents uniquement sur les belles tables et quelques grandes brasseries parisiennes, mais on n’est pas représentés partout. C’est un axe de développement." La maison Carles a de quoi être ambitieuse puisqu’en ce début d’année, les voyants sont au vert, avec une croissance qui frôle les deux chiffres en janvier et février par rapport à l’année dernière, qui n’était alors pas encore impactée par les effets du Covid.

Innovation

Pour Gabriel Coulet, l’avenir passe aussi par le travail sur le produit. "On en revient toujours à la même analyse : on doit travailler sur notre savoir-faire et sur la qualité, reprend Jean-Pierre Laur. Les gens veulent de plus en plus des produits de proximité et authentiques. Ça les rassure. On est dans cette mouvance, avec un fromage qui a obtenu de nombreuses médailles au salon de l’agriculture ces dernières années. On fait tout pour fournir un produit exceptionnel, haut de gamme, peu salé et régulier toute l’année." Loin de se reposer sur ses acquis, l’entreprise "familiale" qui en est à sa cinquième génération de dirigeants, continue de chercher à se développer : "On se bouge, prévient le dirigeant. On démarche, on prospecte. On est toujours en phase de recherche et d’innovations. On cherche également à développer de nouveaux produits comme on l’a fait il y a quelques années avec le roquefort bio." Une démarche indispensable pour que le roi des fromages continue de garder son titre.

La question de la diversification

Depuis 2019, pour faire face à la baisse des ventes du roquefort, Société des caves commercialise le Bleu de brebis, un produit qui ressemble, visuellement, au roi des fromages, mais qui est loin de respecter le cahier des charges de l’AOP (avec notamment l’utilisation de lait pasteurisé) et qui est vendu moins cher. Pour certains, choqués, notamment par l’emballage ressemblant fortement au Roquefort vendu par Société, il s’agit d’une "contrefaçon". La filiale de Lactalis cherche, avec ce produit moins fort, à rajeunir sa cible. La diversification n’est pas une nouveauté pour les industriels. Papillon et Société l’ont engagé depuis longtemps, afin d’écouler le surplus du lait de brebis, mais avec des produits éloignés (visuellement comme gustativement), du roquefort. Les études montrent que le fromage est consommé aujourd’hui, par une tranche d’âge de personne ayant entre 45 et 50 ans. La confédération cherche, depuis plusieurs années, via des campagnes de communication, à élargir cette cible.

Mais les fabricants ont aussi une autre idée pour relancer leurs ventes, qui ne devrait pas vraiment plaire aux éleveurs. "On a un prix du lait qui est trop cher, cela ne nous aide pas, lance un industriel. C’est le plus cher d’Europe. Si le prix du lait était moins élevé, on pourrait baisser nos prix et mieux vendre."

Sur les 170 millions de litres de lait collectés chaque année sur la zone de l’AOP roquefort (une grande partie du département de l’Aveyron et quelques communes des départements de l’Aude, la Lozère, le Gard, l’Hérault et le Tarn), 72 millions sont réellement transformés en roquefort. Le reste est utilisé pour des produits de diversification comme le Pérac notamment.

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