Bozouls : donnez-nous notre pain quotidien !

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Alix Pons Bellegarde

C’est jour de tartines chez la cheffe Alix Pons Bellegarde. Et qui dit tartine dit d’abord pain. Ce sera le "grand rond" de Bozouls. De belles tranches, gorgées d’une vinaigrette à l’orange sanguine et passées au four, sur lesquelles viendront délicatement se poser de fines lamelles de légumes et des échalotes, du marché de Rodez, et des graines de poireaux germées à la maison. Le croquant des légumes, le moelleux de la mie. Un régal.

Artisan boulanger-pâtissier, pain au levain cuit au feu de bois. À Bozouls, la boulangerie Sainte-Fauste surplombe "le gouffre", immense canyon creusé en fer à cheval sur des millions d’années par le Dourdou, pour ne laisser en son centre émerger, comme une île, un phare, que l’éperon rocheux auquel le clocher roman du village semble ces matins-ci rattaché seulement par le givre.

C’est là, en front de mer, aux premières loges, en rez-de-chaussée du Belvédère – table étoilée, opiniâtre, humble et remarquablement inspirante, par Guillaume & Christine Viala –, que Paul Ginisty officie, la porte en fonte du four à bois prise dans les briques de l’arrière-boutique.

La route en lacets, l’odeur jusque sur le parvis, le café chaud à l’aube accoudés à la rambarde, un air de grand large en arrière-pays ; s’y rendre comme un rituel, une piqûre de rappel à notre "pourquoi ici" – d’entre les voyages, les mois, les années parfois, passées si loin à étudier les ailleurs. :

"Un grand rond"

Réservés la veille au téléphone : croissants, chocolatines et "un grand rond". À notre arrivée, dimanche, six kilos de miche de campagne au levain accompagnent, dans un sac de farine géant, les viennoiseries du matin.

Encore chaud, habilement fleuré, lourd, moelleux-serré, un nez de sel et le retour presque acide, le pain fume dans le froid à travers le kraft au sortir de la boutique.

La valeur du pain, on en débat ces jours-ci. Elle était là, ce matin, dans la besace de fortune que nous engouffrions dans le coffre pour regagner la maison : une farine aveyronnaise du moulin de Coudoustrines, cinq siècles de meuniers sur les berges du Lot à Bessuéjouls ; et un artisan boulanger local, ses stères de bois empilés le long de l’échoppe, l’intelligence de ses mains. Un produit que tout le monde devrait pouvoir se payer si l’on préférait "augmenter le niveau de vie des salariés [plutôt] que baisser les prix […] pour créer du flux dans les magasins", observait justement Thierry Marx cette semaine encore dans Libération.

Aliment de base depuis le paléolithique, "nourriture de vie", objet de partage, icône. Et ce jour-là, pour nous, déjeuner de campagne, à quelques heures du retour d’une amie pour Paris – avec dans ses valises, un quart à "boulotter" comme elle dit, le soir même en bonne compagnie. "Le sentiment d’être encore un peu avec vous", enverra-t-elle à son arrivée.

Un grand rond, un vrai, emmailloté en huche dans un lange frais, c’est l’affaire d’une semaine. La première moitié à la coupe, dans la longueur, encore tendre, au fil des repas, puis trois-quatre jours après, la deuxième, grillée, tranche après tranche, dans la largeur cette fois : en "pa amb tomaquet" catalan, frotté à l’ail, trempé d’huile, gratté de tomates à la saison, saupoudré de sel ; en croques aveyronnais, à la poêle ou à la cheminée, jambon cru et Laguiole, un trait de gentiane, un tour de poivre ; en "smørrebrød" danois, coupé fin, vinaigré sous un filet d’anguille, moutarde au curry, raifort, câpres et oignons.

Jour de tartines

Alors tantôt le mercredi tantôt le jeudi, d’un rendez-vous dominical à un autre : jours de tartines. Au carrefour des deux moitiés, profiter du diamètre entier de la miche, sur le milieu, pour une quelques belles tranches à garnir. À l’heure où la mie est encore assez fraîche pour absorber un jus, un suc, un fond, sans se disloquer, et déjà la croûte à demi séchée pour qu’au grill elle pétille sans se briser.

Le ballet peut commencer. Humeur du jour : orange sanguine, sienne, pourpre, telle que décrite par Battista à sa rencontre d’avec les Philippines, pressée avec sa pulpe – un fumé de mûre, des accents de grenade – ; un tiers de son poids en vinaigre de safran, et l’équivalent en huile verte. Imprégner, longtemps, patiemment, laisser le pain boire, le resservir jusqu’à le gorger. Finir au centre à la cuillère, au pinceau sur les côtés. Puis 200 °C chaleur tournante sur un papier-cuisson, je saisis pour emprisonner le liquide et délivre dès lors que les bords carbonisent.

Mandoline : radis et navets des Jardins de Yürsa – à Rodez le samedi, notre premier arrêt place du Bourg, toujours. En fines lamelles que j’enroule. Du marché également, de chez Sylvain cette fois, une poignée d’échalotes, douces, quasi sucrées. Coupées dans la longueur, éparpillées pour surprendre. Posées sur la pierre du fenestrou de l’évier, les graines de poireau ont germé ; j’en coupe et les dispose – une note girofle, cardamome, sanve.

De leur balade ce matin, les enfants ont rapporté quelques feuilles d’orties ; je les ajoute. En coin de table enfin, sur mon bureau de cuisine, un de nos sels, infusé à l’armoise ; je conclus avec lui. Vinaigre et agrume révèlent la fraîcheur du pain. Le croquant des légumes contraste avec le moelleux de la mie imbibée-toastée. Ortie et sel larguent les amarres. Il est 13 heures, l’hiver est beau, sec, le soleil vient taper jusque sur la table. Au centre, comme une entrée, une tartine à partager.

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