Séisme au Maroc : "Pas d'autre issue que la mort, Estelle s'est mis à prier", le saisissant récit de Juliette, Aveyronnaise, en vacances lors du drame

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  • Plus de 2 500 personnes ont péri dans le séisme qui a touché le pays dans la soirée du 8 au 9 septembre.
    Plus de 2 500 personnes ont péri dans le séisme qui a touché le pays dans la soirée du 8 au 9 septembre. MAXPPP - Sylvain Rostaing
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Propos recueillis par Jennifer Franco

Juliette Alauze, 24 ans, originaire d'Espalion et son amie Estelle Reyes, 26 ans, deux amies, parties en vacances au Maroc pendant une semaine, passaient leur dernière soirée de vacances à Marrakech, au Maroc, quand le dramatique séisme a frappé le pays. Elles racontent. 

Depuis quand vous trouviez-vous au Maroc ?

Nous étions au Maroc depuis le 3 septembre 2023. Nous avions passé deux jours à Essaouira en début de séjour et étions à Marrakech depuis mardi 5 septembre pour profiter de nos quatre derniers jours. Le soir du séisme, nous passions notre dernière soirée au Maroc. 

Nous passions notre dernière soirée au Maroc

Où vous trouviez-vous au moment du séisme ?

Nous venions de rentrer d’une excursion dans le désert d’Agafay. Nous nous trouvions dans la chambre de notre Riad situé dans la médina de Marrakech, à 10 minutes de la plage Djemaa El Fna. Nous nous apprêtions à regarder la rediffusion du match d’ouverture de la Coupe du monde de rugby entre la France et la Nouvelle-Zélande.

Nous avons ressenti de manière puissante le séisme

Est-ce que vous l'avez ressenti et avez-vous été impactées ?

Oui, nous avons ressenti de manière puissante le séisme mais en dehors de dégâts matériels, nous n’avons heureusement pas été impactées physiquement. Nous avons été témoins de la tragédie.

Fissures au mur, décorations en mille morceaux...

Dans notre chambre, il y avait de considérables fissures au mur ainsi que dans la salle de bains (casse de miroir, décorations en mille morceaux et table à manger en marbre entièrement fissurée sur toute sa largeur).

Effondrements de mosquées, de bâtiments entiers, des voitures écrasées...

Dans le Riad, il y a eu un débordement de la piscine, des fissures et la structure du bâtiment extérieur qui a même perdu l'un de ses morceaux. Dans la rue, on ne pouvait que constater des effondrements de mosquées, de bâtiments entiers, de portes d’entrées à la Médina, des fissures sur les bâtiments, des voitures écrasées

 

Les gens dormaient dans les jardins, sur les ronds-points...

Les dégâts étaient considérables, certains quartiers ont été beaucoup plus touchés que le nôtre, les gens dormaient dans les jardins de la mosquée de Koutoubia, sur les ronds-points de la ville et n’importe où, loin des effondrements et des bâtiments. 

Les murs ont commencé à bouger...

Pouvez-vous décrire la situation sur place ?

Il était aux alentours de 23 h 10 quand le sol a commencé à trembler. La première émotion qui nous a traversées a été l’incompréhension. Le sol s’est mis à trembler, doucement puis de plus en plus intensément, bruyamment. Les murs ont commencé à bouger, le mobilier également et les bruits de casse ont commencé à résonner. J’étais en train de faire ma valise dans la chambre et mon amie était sous la douche.

Juliette et Estelle.
Juliette et Estelle. Photo - DR

Lorsque donc les premières secousses se sont fait ressentir, j’ai lâché les affaires que j’étais en train de plier, j’ai couru rejoindre mon amie dans la salle de bains en lui disant "Estelle c’est un tremblement de terre ?". En posant la question, je savais pertinemment que quelque chose de grave se passait mais j’attendais inconsciemment qu’elle me réponde "Non" car je n’aurais jamais cru me retrouver dans cette situation un jour dans ma vie.

Un sentiment incontrôlable de peur en moi

Malheureusement elle m’a dit "Oui" et cette réponse a déclenché un sentiment incontrôlable de peur en moi. Je ne voyais aucune autre issue que la mort, prisonnières dans notre chambre du riad niché au milieu d’un labyrinthe d’étroites ruelles de la médina, à 3 minutes à pied d’une place, loin de bâtiments et en sécurité.

On s'est prises par la main

Estelle elle, a commencé à prier. On s’est donné la main, je l’ai tiré hors de la douche et en se serrant fort les mains, je lui ai dit : "Je crois qu’on doit se mettre à l’abri sous des tables". J’ai regardé rapidement autour de moi, sans rien voir. Je suis donc sortie en courant de la chambre, en criant à Estelle de me rejoindre le plus vite possible. Je me suis accrochée à la barrière de sécurité de notre devant de porte et j'ai crié au gérant du riad : "Soufiane, qu’est-ce qu’on fait ?"

Estelle m’a vite rejoint le visage et les cheveux encore plein de savon

Impuissante, en larmes, en regardant l’eau de la piscine intérieure du riad déborder à cause de l’intensité des secousses et en écoutant les autres touristes terrorisés, hurler de peur. Je suis descendue en courant et Estelle m’a rapidement rejoint le visage et les cheveux encore plein de savon. Nous avons attendu un long moment en bas, au rez-de-chaussée, sans savoir que faire.

Sur le moment, on ne réfléchit pas, on oublie ce qu'on doit faire

C’est à ce moment-là que nous avons décidé d’écrire à nos parents pour les rassurer au cas où ils auraient vu des informations circuler depuis la France. Ils nous ont dit de récupérer nos passeports et de nous réfugier sur une place.

C’est vrai que sur le moment, on ne réfléchit pas, on oublie ce qu’on doit faire. On est donc remontées chercher téléphones et passeports et une dizaine de minutes plus tard, nous avons tous décidé de courir en direction d’une place située vers l’entrée du labyrinthe de ruelles que nous empruntions, loin de bâtiments qui pourraient s’effondrer.

Nous ne comprenions pas qu’il était urgent de courir pour éviter un effondrement

Nous sommes partis - tous les touristes du riad, les deux gérants et nous-mêmes d’abord - en marchant calmement et en essayant de retrouver nos esprits dans ce labyrinthe de ruelles. Des briques au sol, des murs fissurés mais nous ne comprenions pas qu’il était urgent de courir pour éviter un effondrement.

D’un coup, nous avons entendu un bruit, et pris de panique pensant qu’il s’agissait d’une deuxième secousse, nous nous sommes mis à courir le plus vite possible en espérant rejoindre un espace aéré sans être bloqués dans ce labyrinthe par un effondrement. Nous avons rejoint la place principale de notre quartier, et puis l’attente a commencé.

Nous avons attendu des heures et des heures, sans aucune information, sans réseau, coupés du monde, en recevant quelques informations non vérifiées par des connaissances de connaissances de ou des membres de la famille des gérants du riad avec qui nous nous trouvions nous indiquant qu’une autre secousse allait arriver car une seconde s’était produite à Casablanca.

Sirènes des policiers, ambulances...

Nous avions l’heure, la réponse allait arriver dans 30 minutes d’après eux, alors nous attendions. Trente minutes plus tard : rien. On nous indique d’attendre encore 30 minutes, mais toujours rien.

Une alarme retentit dans la ville, quelques secondes, nous entendons les sirènes des policiers et les ambulances mais nous n’avons aucune information. Nous attendons dans la rue, nous ne savons pas pour combien de temps et nous ne réalisons pas la gravité de la situation.

Comment la solidarité s’organise-t-elle sur place ?

Je ne peux parler que de la solidarité mise en place au moment du séisme et dans la nuit qui a suivi puisque nous avons quitté Marrakech samedi 9 septembre à 6 h 20 du matin. 

Quoi qu’il arrive, mon amie et moi étions entourées d’un couple de touristes français avec lesquels nous avions déjà passé une journée, d’un couple de touristes espagnols, d’un couple de touristes tunisiens et des deux Marocains qui travaillaient dans le riad dans lequel nous logions.

Nous nous sommes d’abord tous retrouvés au rez-de-chaussée du riad lorsque le tremblement de terre a eu lieu. J’étais en pleurs et tout le monde était là les uns pour les autres, pour se soutenir et essayer de retrouver le calme. Nous avons ensuite quitté le riad tous ensemble. Nous avons discuté et avons essayé de nous rassurer et de nous changer les idées pendant les 3 heures que nous avons passées debout au milieu de cette place.

Les deux gérants du riad avaient 25 ans, comme nous, et nous avons transformé ce moment dramatique et stressant en une soirée dont nous nous souviendrons.

Nous ne savions pas si notre avion partirait le lendemain matin comme prévu, nous n’avions pas réservé de taxi à l’avance non plus. Vers 3 h 30 du matin, lorsque le calme est un peu revenu, les deux hommes qui travaillaient nous ont dit qu’ils avaient appelé un chauffeur pour nous et qu’ils nous accompagneraient à l’aéroport.

C’est ce qu’ils ont fait, et à 5 h du matin nous étions toutes les deux dans l’aéroport, exténuées de fatigue en espérant seulement que notre vol ne soit pas annulé, accompagnées jusqu’à la douane par ces deux hommes adorables. 

Nous nous sommes demandé si nous serions restées si ce séisme avait eu lieu au début ou au milieu du séjour et nous n’avons pas réussi à répondre. L’économie du pays va être fortement affectée avec le nombre de voyages annulés à la suite du séisme mais nous n’aurions pas pu dormir une nuit supplémentaire dans un riad aux murs fragilisés, dans la rue d’une maison complètement effondrée.

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